Selon le service européen sur le changement climatique, depuis le début de l’année, plus de 9 000 km² de forêt ont brà»lé sur le vieux continent. Soit plus que la superficie de la Corse, plus que les cantons de Vaud et des Grisons réunis.
Autre chiffre symbolique : nous venons de franchir la barre anxiogà¨ne des 8 milliards d’individus sur Terre. Une occasion rêvée pour tous les déprimés intà¨gres et tous les marchands de peur, de sortir du bois et de crier à un désastre, déclinable dans toutes les crises imaginables : économique, démographique, migratoire, climatique, écologique“¦ etc. Sans parler des éco-anxieux et des champions du greenwashing, qui ne manqueront pas de se fendre d’un commentaire percutant, chiffres à l’appui, au détriment du recul nécessaire et d’un sens de la nuance décidément en perte totale. Même remarque de fond autour de la guerre en Ukraine, dans laquelle certains visionnaires n’hésitent même plus à y déceler la meilleure raison possible de réaliser enfin la « transition écologique ». Angélisme un peu naà¯f : comme si du mal absolu devait forcément résulter quelque chose de positif ? (surtout si l’on pense que le gaz russe est simplement remplacé par le gaz américain).
Et dire que pendant tout ce temps-là , il y a encore quelques semaines, à Champ-Dollon, un détenu végan dépose une plainte pénale devant la Cour européenne des droits de l’homme. L’activiste et militant de la cause animale reproche à la prison d’à‰tat de ne pas lui avoir fourni de repas adaptés à son régime alimentaire. Du coup, servir des Å“ufs à un prisonnier végan viole-t-il ses droits humains ? En termes juridiques, le véganisme est-il un droit ? Il s’agit maintenant d’examiner si la prison de Genà¨ve a violé le « droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion », et si le cas échéant, par extension, le véganisme deviendra ou non une croyance éthique“¦ Ou bien, en d’autres termes, une religion ?
Décidément, on se sait plus où donner du coeur et de la tête, ni où pouvoir sangloter tranquillement en pensant à la fin du monde. Comme si la tyrannie des émotions avait dynamité une bonne fois pour toutes notre esprit critique. Comme si notre obsession à revendiquer des droits nous servait d’excuse pour mieux oublier nos devoirs. Et de diluer tout à§a dans notre bonne volonté. Au profit de qui ? De nos nouveaux professeurs de bonne conscience, des prédicateurs de l’exemplarité et de la transparence, de tous ceux qui ont trà¨s bien compris comment alimenter nos angoisses en régulant nos imaginaires. Autant de manià¨res pour ces idéologues de régler nos mauvaises consciences en synchronisant nos émotions et en neutralisant notre capacité d’agir.
Et puis, enfin, devant tous ces faits qui nous accablent : l’effroi. Un effroi à la mesure du déni qui a précédé. Alors oui, tout semble faire diversion quand il s’agit de trouver des moyens d’action. Et puis franchement, comment donner aux gens l’envie d’agir en les désespérant ?
On devrait peut-être commencer par voir les choses en face afin de se protéger des chocs de désillusion. Et plutà´t que d’inventer de nouvelles religions, — en invoquant la vénérable Gaà¯a, en imaginant des mondes perdus ou une nouvelle « espà¨ce-totem » en voie de disparition —, on devrait remonter nos manches, et se demander plutà´t comment réparer ce qu’on a cassé : voilà qui semble mobiliser une imagerie plus fertile en matià¨re de responsabilité. O๠pour le dire autrement : comment transformer nos culpabilités individuelles en force créatrice et collective ?
En Suisse, l’accroissement annuel de la population est de l’ordre de 70 000 habitants. Ce qui signifie qu’il faudrait construire chaque année l’équivalent de deux villes comme Sion. Voilà un rappel à la réalité qui devrait en encourager plus d’un à se concentrer sur ce que l’on peut faire ; et pas seulement en parler.
Alors prenons l’exemple de logements sociaux aux Pays-Bas : il existe maintenant une démarche, appelée « EnergieSprong », qui consiste à faire une étude au laser d’un bà¢timent, puis à fabriquer en usine une sorte de « couverture » super isolante, qui est ensuite placée sur ses faà§ades extérieures. Des équipements efficaces, comme des pompes à chaleur, sont installés, ainsi qu’un toit solaire. Le bà¢timent consomme cinq fois moins d’énergie, et coà»te deux fois moins cher à ses occupants. Voilà un exemple parmi tant d’autres qui devrait montrer la voie et redonner espoir. Car aprà¨s tout, comme l’a dit Raymond Williams, être vraiment radical, n’est-ce pas rendre l’espoir possible ?
Illustration : Gustave Courbet, Le Désespéré, 1843-45