L’esprit du don

C’est presque Noà«l. Le sapin. Les cadeaux à  venir sont déjà  partout. Pourtant, ou se cache-t-il, le sens du don véritable ? Au chaud, bien à  l’abri enroulé dans des mà¨tres de papier et de ruban ? à‰crasé, sous le pavé des bonnes intentions ? C’est vrai que derrià¨re le vernis des conventions sociales, la présence du don authentique n’est pas toujours évidente.

On le sait depuis Rousseau : c’est la justice qui a remplacé la charité. Et puis historiquement, l’à‰tat-providence, qui garantit le droit à  l’assistance, s’est substitué progressivement à  l’aumà´ne et à  la générosité. Ou comment notre besoin de législatif – la bienfaisance publique – a supplanté la charité de l’à‰glise.

Et la morale dans tout à§a ? Aprà¨s tout, qui ne s’est jamais senti dans l’obligation de « donner », comme par enchantement, par une sorte d’émulation mystique, afin de « rendre un peu de ce qu’on a reà§u », perpétuant ainsi la chaine du don immémoriale qui irrigue nos pulsions d’exemplarité ? Entre la question morale et l’affectivité, la couche est fine.

Pendant ce temps, l’Empire du Bien travaille nos consciences et lustre nos coeurs. La bien-pensance elle aussi continue de torpiller nos passions et notre sens de l’initiative. Même en matià¨re d’empathie, au nom de la transparence, nous perdons chaque jour un peu plus ce qui faisait le sel de notre être intime, cet « homme public« , capable de garder entià¨re sa liberté - liberté d’aimer, de penser, liberté de donner – derrià¨re le masque de son rà´le social.  

La tyrannie du don obligatoire, édictée en mode de vie. « Je donne, donc je suis ». Bonne conscience oblige. Oui évidemment, le don gratuit n’existe pas. Et puis aprà¨s ? Pourtant le don est bien partout : il faut accepter de ne plus le considérer uniquement comme une série d’actes à  sens unique, c’est à  dire comme une obligation.

Paysage d’hiver avec église, Caspar David Friedrich, 1811

Le don est avant tout une relation, qui implique, mieux : qui « exige » des individus libres d’exercer leur empathie, leurs sympathies. Une raison supplémentaire pour démontrer que chercher systématiquement la valeur d’origine d’un don, c’est adopter la vision simpliste qui sous-entend que chaque don a un but uniquement intéressé. C’est comme à§a qu’on casse tout : la chaà®ne du don se brise à  chaque fois que la valeur d’échange se substitue à  la valeur de don. 

Retournons le problà¨me : à  la base il n’y a jamais de don, mais plutà´t une intention, ou peut-être simplement l’expression d’une bienveillance qui plus tard se transforme en don. Le don a une visée intentionnelle et existentielle qui conserve en elle une trace de la personne qui a institué l’échange. Alors en donnant et en rendant des choses, on se donne et on se rend des égards, des respects et des preuves. « Donner » c’est avant tout créer de l‘intimité ; ce n’est pas obliger l’autre à  recevoir.

Je crois qu’à  travers le don, on se donne et on se doit aux autres. Le don, marqueur des relations interpersonnelles, révélateur des affinités élues. Par conséquent, il n’y a pas de contre-don, mais seulement des dons en miroir d’autres dons. Ainsi on donne pour laisser l’autre donner en retour. Rien à  voir avec l’idée de donner simplement pour recevoir. 

à‰videment l’imaginaire de Noà«l représente le symbole parfait du don comme filiation, transmission et héritage, puisque le don est une chaà®ne temporelle, qui aspire à  créer librement du tissu social et à  renforcer les liens familiaux. Alors le sens profond du don véritable, l’esprit du don, c’est de ne jamais avoir d’attente en retour, mais seulement des garanties que le don initial a atteint son but.

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